Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
" Les mots devraient être immaculés comme du marbre poli, purs comme les notes d'une Partita de Bach, qui changent en silence parfait tout ce qui n'est pas elles-mêmes. " Pascal Mercier
Samuel van Hoogstraten,
Vestibule en trompe-l'oeil.
Est-il envisageable en matière de musique de parler de " trompe-l'oreille " comme on évoque en peinture le terme de " trompe-l'oeil " ? C'est une des oeuvres musicales que je proposerai à votre écoute qui répondra, et avec quelle clarté, à cette question. Mais nous n'y sommes pas encore... Pour l'heure nous nous trouvons en l'an 1717. Cette année-là... D'Alembert vient au monde. Voltaire est emprisonné à la Bastille. Couperin est devenu claveciniste de Louis XIV. Le dernier bûcher pour sorcellerie a été enflammé en Slovénie et le néo-druidisme prend son essor en Angleterre. L'histoire foisonne d'évènements, petits ou grands, légers ou lourds de conséquences. Et pendant ce temps, Bach se consacre à une oeuvre qui à elle seule raconte les péripéties de cette Europe (déjà) en pleine effervescence et construction. Le monde entier semble habité d'une énergie sans fin et cette énergie, nous la retrouvons dans les Sonates et Partitas pour violon seul. Totalement vitaminées, éblouissantes, sombres, orageuses , sévères, enjouées, pleines de reliefs, de profondeurs, de niveaux de lectures à l'infini comme cette toile de Nicolas Poussin :
A l'époque, la technique du violon est déjà très aboutie, même s'il reste à accomplir de considérables évolutions du côté de l'archet. Tartini a cependant réduit sa convexité, allégé son poids, amélioré son équilibre et sa tenue en demandant que l'on grave des canelures afin d'empêcher qu'il ne glisse dans la main.
Bach avait été formé au violon par son père, bon violoniste professionnel. A-t-il créé lui-même ces sonates? Le plus probable est que c'est un ami concertiste, le premier violon de l'orchestre de Cöthen, Joseph Speiss, qui donna vie à ces oeuvres. Leur virtuosité, leur difficulté transcendante en font encore aujourd'hui un mêt de choix pour les violonistes. Mais si leur très haute technicité parle l'époque où elles sont écrites, ces sonates n'ont de sonate que le nom, du moins au sens où nous l'entendons aujourd'hui. Trois d'entre elles sont des Partitas constituées, comme les Suites de danses, d'un enchaînement de cinq ou six danses telles la Gigue, la Bourrée, l'Allemande, la Loure ou la Chaconne. Toute l'Europe musicale se donne rendez-vous dans ces partitions de haut vol. Et même si les danses n'ont gardé de leur origine payse que les tempi et cellules rythmiques constitutives, l'esprit y est : la Loure reste un chant mélancolique qui raconte les froides terres du Nord, la Gigue une ovation à la joie solaire Italienne.
Les trois autres numéros de cet opus répondent aux critères de la sonate d'Eglise. Sévères dans leur forme, semblables aux sonates primitives de Corelli, elles alternent mouvements lents et rapides, dont une fugue. obligée qui en accentue le caractère sérieux. Bach y exprime le génie allemand tout entier contenu dans la forme fuguée dont il se rend d'emblée le maître.
Manuscrit de la première sonate pour violon.
Dans le fond, c'est une Allemagne en reconstruction, imprégnée de l'influence des autres pays, qui est invitée dans ces sonates et Partitas. Et ce qui est formidable, c'est que Bach dépasse à travers elles la tentation exotique ou narrative si fréquente à son époque, que l'on songe à Lully ou Vivaldi. Sa musique se donne dans toute sa pureté. Le chemin qu'elle emprunte va de la note au coeur et à l'esprit. Elle se passe de ces carnets explicatifs qui souvent encombrent la lisière des oeuvres d'art. Faisant fi de ce qui s'effondre, s'élevant vers d'indicibles cîmes, elle transforme nos pauvres mots en sliences. Elle est de son temps et déjà au-delà, car puisée dans l'histoire, scellant pour l'histoire un moment des hommes qui ne reviendra jamais. Et cela Bach en avait pleinement conscience.
Tiepolo: Allégorie du Mérite accompagné de la Noblesse et de la Vertu
Passons à l'écoute et je limiterai au strict minimum nécessaire mes " carnets explicatifs "...
J'ai choisi pour commencer deux extraits de la sonate N° 2 en La mineur.
L'Andante est un authentique duo entre le violon et ... lui-même, jouant une mélodie pleine d'arabesques soutenue par des accords à la déclamation obstinée. Que l'on imagine l'extrême difficulté qu'il y a là à maintenir une ligne du chant qui n'autorise aucune rupture tout en marquant la ponctuation quasi " orchestrale " du continuo. Nous sommes bien ici dans le " trompe-l'oreille " puisque un seul violon nous permet d'entendre deux voix distinctes:
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L'Allegro est remarquable par ses difficultés rythmiques, sa gaieté, et je vous en offre deux versions, la première pour violon, la seconde pour clavier, sachant que Bach lui-même avait transcrit pour clavecin l'intégrale de cette sonate.
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Puis la Partita n° 3 en Mi majeur. Dans cette oeuvre Bach fait de son instrument, par le jeu des questions réponses et des contrastes forte/piano ( fort/ doucement), un orchestre tout entier qui dialogue avec le soliste. D'aucuns ont pu dire que ces partitas , qui d'un violon solitaire font un orchestre, un orgue, une cornemuse, une voix... répondaient en musique à la théorie des monades de Leibniz selon laquelle le monde se réfléchit en chaque chose. Bach, qui était féru de mathématiques et de philosophie aura peut-être été sensible à ce qui se dessinait là en son temps dans le monde de la pensée. De là à avancer qu'il aura tenté de le traduire... je ne m'y risquerai pas.
Pour commencer, la Loure, danse traditionnelle Normande aux accents mélancoliques et graves. Comme ce saut d'octave qui entame la première phrase est déchirant et comme cette mélodie suspendue dans le haut médium sonne vocale. Jamais de notes aigues pour la facilité et l'orgueil, mais une plainte humaine, dans la stridence retenue du cri.
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Puis la Gigue qui termine l'oeuvre. Les deux notes qui entament le morceau disent très bien le léger élan du danseur pour s'élever puis retomber avant la course ininterrompue des pas. On l'entend, la gigue originelle est ici transfigurée et si elle perd de son caractère dansant, elle conserve sa syntaxe et son esprit:
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Bonne écoute!