Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique

La passagère



I


C'est par la porte étroite du manque

l'auberge basse du mauvais sommeil
souvent frôlant la chute
que nous éprouvions l'autre rive.

Et comment vivre encore
sachant mais de si pâle
ce qui avait gorgé le fruit offert à notre soif
évaporé sa chair sans bruit infiniment
le rendant à la terre avec légèreté ?

Nous-mêmes en ces moments
d'un pas l'autre
nous nous sentions si transparents

Respirions-nous enfin le monde
ses vérités sans poids que retient seul un corps ouvert à sa fatigue

ou étions nous déjà
à des bleus  de la vie?


II

 
Nous n'invitions jamais la puissance des choses
et l'essor des objets ne nous atteignait pas

 
Pourtant le temps passait avec ses nuages lourds
    ses vents de frais soleil qui germent les labours
         ses peurs tremblant au bord des chiens

            La mort ne l'était pas dans notre ciel sans dieux

Parce que tout était simple
                  tout était mystérieux

III


Nous cherchions des routes  plus graves
        et folles de leur ciel si bleu
        
Sous nos pieds
la charpente des pierres

A peine si certaines écartant cette croute
               nous entendaient passer


Puis les Rias de foudre
         où le vent blanchissait un parfum de charogne
et je te regardais
trébuchant dans ta voix joyeuse d'autres sels
le visage accueillant sans armes les embruns

Combien de paysages avions nous écornés
pour empoigner enfin

           à force d'horizons

l'autre côté du voir

l'eau calme de l'insu


IV



    Au bord des chemins d'eau
                             si blancs que l'on croirait qu'ils sont de pierre
                                               nous marchions sans bruit

    La terre était comme une barque tiède après la pluie

            Un ciel étrange et brun s'allumait sous nos pas
                                          de mille et mille fleurs
                            partout le vent se tissait à la lueur
                          
                        Etions-nous déjà la courbe prochaine
                                     la fin de nacre vert qui n'en finirait pas
                           d'irriguer le labour des flammes souterraines?


V



D'avant-hiver nous aimions l'usure des tissus
une certaine qualité de lumière
nous en cherchions toujours l'infinie floraison
sur les feuilles anciennes
la saveur d'un temps qui ne nous pressait pas.

Quand l'air trop vif avait tourné la tête
les voix semblaient plus fraîches
plus jeune le ruisseau dont nous longions les berges sous l'automne.

Ce froid cloué aux yeux nous déchirait de nous
nul espoir
nulle peine
juste le pas léger entre les fauchées d'herbe
 
Jaillie des pierres lourdes dressées sur son flanc
loin du bruit du soleil
l'arche nous attendait

Oserions-nous marcher sur ses pavés d'eau sourde
emprunter le revers

gravir la dague d'ombre et son poids qui s'abstient ?

Lâcher prise?



VI


Il y avait de la mélisse dans les champs
d'un bleu intense
et son parfum de menthe qui déchirait la gorge

   dans notre dos soudain
l'envol d'une poule faisane

       si lourd dans son vêtement de fugue

Mourir est ainsi fait

   de branches écachées pour un ciel plein de cendres


Il y avait le fer du bouillon blanc

         monté en graine un peu de vent
sur le sable défait
nos traces enfoncées au grand peuple des traces

L'été s'usait
    insensible aux prières

VII

Des jours qui rallongeaient
   nous devinions les chevilles frêles
   un galop qui tremblait
limpide
 au bord des toits




Le ciel grinchait parfois d'une fenêtre à l'autre

semant
comme on murmure

                  à bout portant
les plaies avant l'histoire 


Mais la vieille maison aux pierres sans trahir
  se moquait bien des vents d'hiver
ses murs ne se rendaient qu'au mufle de lumière


Nous restions silencieux
comme pour protéger dans cette cendre-là
       ce qui s'était éteint à force de paroles

Avec ses mains de rompre
   le soleil enfouira le maussade et le gris
  de son eau rincera les ombres mal-aimées


Bientôt les dieux

                   aux lèvres closes
                                sur la fleur !

VIII


 
Du vieux banc de chêne au bord de la colline
nous regardions couler l'usure d'un chemin

        voix jetées contre sol
    vers une mince brêche. Nous étions gais de peu
l'arôme encore vivant des pommes en cidre d'herbe
    la lampe de vin d'or, carré, puisant aux murs
l'impassible lenteur
        que la cour opposait aux nuages


Il faisait froid
le vent
            a   séparé
quelque chose de nous


Nos yeux enfuis

    déjà
        tâchés du flanc des bêtes aux foulées d’armoises
  que rattrapait la soif des pièges dépliés
 
Nos ombres affaiblies
enchâssés dans le gris
           en étions-nous la pierre encore pleine?


Et s'il était ailleurs un autre hiver
un feu de mille feuilles orphelin de nos coeurs
un bateau s'en allant chargé de mille ports?

IX

Nous reviendrons
le coeur empli de mots qui marchent
les bras ouverts en guise de présage
nos sandales légères n'écraseront pas la nuit

Nous vous raconterons

la traîne de parfum qui soutenait nos pas vers l'aube fraîche encore
les chaumes ruisselants au détour des forêts
quand un galop se perd
et cherche sa dérive

le lait noir qui coulait des paroles de pierre dans les vieux cairns voûtés
les îles dont les lèvres taisent les marées


Nous reviendrons
le coeur empli de mots qui marchent










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M
<br /> <br /> je me promenais et je suis tombée par hasard sur vos textes, superbes, j'ai adoré ! Une élégance naturelle se dégage de l'ensemble, un vol au-dessus des sens. Magnifique.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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R
<br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Merci Monsesille, c'est adorable, en plus j'aime tout particulièrement cette série que je prépare et travaillse sans<br /> cesse pour envoyer à éditeur...<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> <br /> <br /> ""La terre était comme une barque tiède après la pluie.""<br /> <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br /> Ces mots plein du sentir d’un moment<br /> <br /> <br /> <br /> Sont de tous temps<br /> <br /> <br /> <br /> Rien ne s’efface, c’est là, prêt à surgir à nouveau<br /> <br /> <br /> <br /> En intériorité…<br /> <br /> <br /> <br /> En partage …<br /> <br /> <br /> <br /> Merci.<br /> <br /> <br /> <br />
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R
<br /> <br /> C'est vrai<br /> Le "mettre en mots " permet de faire resurgir à volonté ces sensations si puissantes...<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> <br /> J'ai beaucoup aimé la chute de tes strophes ! Magique...<br /> <br /> <br /> <br />
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R
<br /> <br /> Merci Marlou, c'est très gentil...<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> <br /> l'été devait entendre les prières...<br /> <br /> <br /> Mais il ne pouvait peut-être pas répondre...<br /> <br /> <br /> un poème envoutant.<br /> <br /> <br /> bonne nuit<br /> <br /> <br /> clem<br /> <br /> <br /> <br />
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R
<br /> <br /> L'été s'endormait déjà dans son automne. Puis l'hiver, si long et froid!<br /> Chez moi ce matin - 7° !!! Merci Clem...<br /> <br /> <br /> <br />
V
<br /> <br /> Pourquoi t'en séparer ? Parce que ça ne cadre pas dans l'ensemble ? Eh bien tu le classes ailleurs !<br /> <br /> <br /> <br />
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R
<br /> <br /> Tout à fait, c'est ce que je voulais dire, le faire sortir du cadre que je lui avais choisi... Bisous et à ce soir!<br /> <br /> <br /> <br />